Journey to nowhere
Quand on se sert du « carpe diem » qui résume le poème souvent mal compris d'Horace pour orner les cadrans solaires, Olivier Larivière, lui, a choisi la croupe d'une femme chevauchant avec vigueur son amant pour le titre de sa nouvelle série, « Nothing is forever ».
« Obscène, déplacé, facile ! » diront certaines et certains...
Et pour les certaines et les certains ce serait se méprendre et là où il devrait y avoir d'abord le regard puis prudemment l'intellection, se laisser capter par une œuvre qui joue résolument avec nos préjugés, nos certitudes, en mimant de nous les jeter à la figure.
Car d'obscène, au risque de décevoir et à moins de feindre une pudeur de circonstance, il n'y en a pas et qu'en vérité, si les toiles d'Olivier Larivière sont choquantes, c'est parce qu'elles ne nous choquent pas. L'artiste s'amuse à nous faire peur, jette une grenade dégoupillée mais qui jamais n'explosera... Passée la première stupeur, le cœur encore emballé de s’être trouvé si près de l'impulsion menaçante, ce n'est pas sous le coup de la concupiscence que la pupille se dilate à nouveau mais sous celui d'une plus étrange compassion. L’œil s’intéresse alors aux cadres, aux situations, à ce coup de pinceau, à ces visages et s'interroge sur les raisons d'une lucidité retrouvée, aguerrie...
Ce qui se donnait tout d'abord à voir comme obscène semble alors comme un voile opaque posé sur ce qui aurait été autrement impudique pour une intelligence non avertie: L'existence et son pathétique, son ridicule, son ennui. En un mot, sa vanité.
 Plus qu'un voile peut être, cette présence écrasante de la chair vient compenser par la pesanteur une insupportable évanescence. Questionnement du sens plutôt qu'exaltation des sens. A défaut de l’Être, la matière... Presque une ontologie.
Jusque dans cette toile en premier lieu évoquée, et sans doute la plus explicite, c'est moins un couple en train de baiser qu'Olivier Larivière livre à notre regard qu'avec toute la distance propre à l'ironie, et mêlés ensemble, la consensualité et la bestialité du branding : Marquage au fer tout comme gestion de marque.
« Nothing is forever » donc... 
On a presque envie de le scander.
Dans un premier temps, rien ne dure, et tout simplement, il faut jouir de la vie.
Mais qu'on s'attarde.
Qu'à ce temps donné commun, on substitue les silences, les contre-temps, et c'est presque un oxymore qui apparaît quand le sens que l'on prête disparaît sous la lecture la plus formelle : « Rien » est « toujours ».
Soit un néant identique à l'éternité, un lieu de nulle part dans lequel rien ne peut advenir.
Collusion dans une même formule d'une injonction à jouir et de l'inanité du désir, vanité encore, et névrotisme.
L’événement est barré, rien ne se passera qui ne s'est déjà passé, tout est déjà là, déjà écrit sans pourtant signifier. Certes, nous avons manqué la fête, mais de peu... Triste consolation.

Ces lieux de nulle part, les sujets - les personnages est-on tenté d'écrire - les arpentent comme dans un monde qui n'existe pas à la recherche d'une nouveauté qui n'existe peut-être plus. Lieux de passage, lieux d'oubli, chambres d’hôtel, fêtes foraines, plages désertes, parkings, toujours à la limite, en périphérie, à coté du centre où tout se joue.
Borderline.
Car d'évidence, personne n'habite ici, on y transhume, menés par la main du peintre tout d'abord qui nous laisse ensuite livrés à cet entre-deux qui agira comme incubateur, comme matrice. Si le lieu est flou, le cadre est donné, à la fois indéterminé et surdéterminant, moins de l'ordre de la composition picturale classique que du cadrage cinématographique. Il s'agit moins de représenter, de figurer une présence, que d'évoquer des situations, d'invoquer des possibles. Et nos personnages de prendre vie, de s'ébattre et se débattre, comme habités.
Profusion d'objets, de mises en scène, comme autant de fétiches, suggérant comme un jeu de piste où le spectacle et le désir pour la marchandise se sont substitués aux grands récits.
Ce n'est plus alors la vision mais l'imagination qui éclaire le regard et nous guide au travers d'une énigme à déchiffrer, d'une histoire à retrouver. Histoire qui bien sûr ne peut être qu'hypothétique et incertaine, une fiction.
Cette fiction, ou plutôt ces fictions, dans la mesure où elles ne sont fictions que par ce qu'elles sont multiples, n'ont pourtant rien de commun avec celles proposées dans les salles obscures. 
Lorsqu'au cinéma l'attente porte sur ce qui va advenir, le suspens, la suspension du sens, fonctionne ici à rebours et sur ce qui a pu nous conduire à la situation présente. Le futur est dispensable, temps de crise, et la pensée chemine en amont de ce que le regard explore, cherchant dans le présent la survivance d'un passé révolu mais qui, on en est certain, doit donner sens à ce qui se donne à voir. D'où ce sentiment de décalage, cette impression d'avoir manqué quelque chose et que le plus important est ailleurs, si ce n'est nulle part.
Le temps est comme suspendu, freiné dans sa durée, et « No future » semble être le leitmotiv qui rythme cette errance . Le présent n'est plus tout à fait le présent, c'est un présent différé, et à trop vouloir cueillir le jour, on fini par le tuer un peu.
Ce Journey to nowhere auquel Olivier Larivière nous convie a en effet quelque chose de nihiliste et de post moderne, paradoxalement Punk, intello, et hédoniste. L'incandescence y côtoie l'extinction, la turgescence des sexes la flaccidité des visages, comme la pulsation de l'Etre niché au cœur du Néant. On ne doit ni l'attendre, ni tenter de la retenir, jusqu'au prochain battement, jusqu'au dernier...
Silvère Raynaud

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